Atteindre son désir en sortant des barrières

Baf_plateau 6 janvier 2018

Prédication à un mariage

Textes : Cantiques des cantiques 3 : 1-5 et 8 : 5b-8

« L’amour est fort comme la mort ». Cette affirmation exprimant la force de l’amour et son caractère irrésistible comme la mort se cache dans un hymne à  l’amour chanté à deux. Comparer l’amour à la mort relève à la fois de l’idyllique que du lyrique. C’est d’ailleurs l’objet de ce livre de la Bible dont la présence dans le canon a été un sujet de controverse. Plusieurs interprètes de la Bible privilégient une interprétation métaphorique que littéral. Ils voient dans ce livre un hymne à l’amour entre Dieu et son peuple ou Christ et l’Église. Pourtant, ce livre parle explicitement de l’amour sensuel, sexuel et conjugal entre deux amants d’abord célibataires, puis mariés. On ne peut pas révoquer ce sens littéral, car dès le premier livre de la Bible, l’extase, l’émerveillement et la joie de la rencontre entre l’homme et la femme sont décrits sans censure. « Voici cette fois, celle qui est os de mes os, chair de ma chair ». Cet émerveillement et cette joie de la rencontre F et G ne me le démentiront pas, ils l’ont expérimenté et continuent à l’expérimenter ce jour à cette célébration nuptiale. Examinons le premier texte qui nous relate comment la jeune fille amoureuse parvient à trouver ce que son cœur (âme) désir pour voir en quoi l’amour et la mort sont comparables. La quête de ce que son âme aime se fait en trois étapes représentées par trois lieux : la chambre, la place publique et l’au-delà.

Le premier lieu est la chambre, plus exactement le lit. C’est là que, plusieurs nuits, la femme a cherché ce que son âme aime. Ici, on est dans le domaine de l’imagination, de la pensée plutôt que de la réalité. Pour être plus concrète, cette première étape consiste à chercher l’être aimé, l’amour de sa vie là où nous aimerions qu’il soit, dans notre lit, dans nos bras. En effet, cette scène est assez naïve pour être rai. Comment peut-on imaginer qu’il suffise de vouloir la présence de l’être aimé pour que cela arrive ? Comment peut-on imaginer qu’il suffise de songer à ce que l’on souhaite pour que cela se réalise ? Seul l’amour peut emporter quelqu’un dans une telle imagination. Mais aussi, celui qui est animé par la pensée magique ou positive est dans cette situation. C’est d’ailleurs le chou gras de plusieurs pseudo-prophètes ou apôtres. Ils pensent qu’il suffit de vouloir quelque chose pour que cela arrive. Il suffit de penser ou d’imaginer qu’on est milliardaire pour qu’on le devienne. Il suffit qu’on s’imagine marié, couché dans les bras d’un homme et entouré de ses enfants pour qu’on voie cela se réaliser. C’est de la folie qui n’a rien à voir avec la foi ni l’espérance. Rapporté à l’être aimé et au couple, cela nous plonge dans une illusion catastrophique cause des déceptions les plus suicidaires. C’est en effet la belle idée que l’autre sait ce que je veux, ce que je désire, sans que j’aie besoin de le dire, de l’exprimer. Du coup, quand on réalise qu’il n’agit pas, qu’il ne comprend pas, c’est la déception, la catastrophe. C’est aussi le fait de l’influence de l’immédiateté. On veut et on imagine que tout soit là et tout soit à moi. On pense qu’il y a un ordre naturel auquel toute vie devrait se conformer. On entend dire souvent « normalement c’est ainsi, c’est cela ». Normalement celui que mon cœur aime doit être là où je l’espère et, il doit faire ce que je souhaite. Dans le sceptre familial, ce mécanisme nous amène à penser que nos enfants doivent faire ce que nous souhaitons, puisqu’ils doivent être là où nous les attendons. Intuitivement et inconsciemment on veut télécommander l’être aimé qui perd de ce fait sa liberté voire son existence. Si le mariage est l’union des cœurs et des corps, il n’en est pas la fusion. La complicité, la compréhension et l’entente ne réduisent pas l’être aimé en une marionnette, ils ne lui arrachent pas son existence. L’autre existe dans sa différence et sa liberté. Au lieu donc de se limiter à l’imagination ou à la pensée magique qui veut que tout se passe comme on imagine, il faut sortir, se mettre en route, aller à la rencontre de l’autre avec le risque des incompréhensions et de déceptions. C’est d’ailleurs là où se trouve la force de l’amour. Elle est dans l’épreuve, dans l’incompréhension, dans l’inattendue. F et G, ce que vous désirer ne doit pas se limiter à l’imagination, au rêve, il faut l’exprimer, le réaliser, l’entreprendre. Le danger de cette pensée élargi à la question de Dieu est d’envisager la prière comme une manière de pouvoir influencer sur les cours des choses et d’obtenir ce que l’on souhaite. Mais l’expérience du Cantique est que la pensée magique est la meilleure manière de ne pas trouver ce que l’on cherche, car le désir, qui désigne le manque, ce qui nous fait défaut, ce que l’on souhaite satisfaire, a besoin que nous nous déplacions pour être satisfaits.

C’est à juste titre que dans cette scène la femme éprise d’amour et emportée par le désir de rencontrer celui que son cœur aime, au lieu de s’enfermer dans son imagination et en être malade, sort, elle va faire le tour de la ville. Curieusement même étant sortie, elle ne trouve pas toujours celui que son cœur aime. Elle ne le trouve pas dans son milieu social. Elle a beau fouiller son amour dans les clubs de son quartier, dans sa paroisse, dans son village, dans son lieu de travail, elle ne trouve pas ce que son cœur aime. Pourquoi cette recherche est-elle toujours infructueuse ? L’auteur des Cantiques veut nous montrer que ce n’est pas dans un milieu connu que j’ai des chances de trouver celui que mon cœur aime. Il récuse ici le conformisme social autant qu’il l’a fait pour le conformisme biologique. Le Cantique des cantiques invite à envisager une relation qui ne fait pas des conjoints des instruments au service d’autre chose, par exemple des intérêts économiques ou politiques, tribaux ou religieux. Ici, le texte biblique dégage la relation amoureuse des contingences légalistes. Tant que l’amoureuse reste dans l’espace connu, balisé, tant qu’elle reste dans l’espace délimité par les gardes, représentants de la loi qui veille sur elle, elle ne trouve pas ce que son âme aime. L’amour transcende les barrières, il surpasse les interdits, il est au-delà des frontières. C’est cela la force de l’amour. Comme la mort, il n’a pas des principes tout fait, il n’est pas un copier-coller, il n’a pas de domaine de définition. L’amour va au-delà du cadre institutionnel. Tant que vous vous conformerez ce qu’on dit ou à ce que la société veut, vous n’aurez pas dans votre mariage ce que vous désirez. L’amour seul doit conduire vos cœurs et vos cœurs vers des horizons meilleurs selon ses lois et principes. La vie en plénitude, celle que le désir nous fait aimer, n’est pas celle que nous connaissons déjà. Ce n’est pas plus celle que nos parents ont connue que celles de nos amis, de nos collègues ou de nos contemporains. Nous ne pouvons pas nous conformer à ce que nous voyons autour de nous pour être heureux en amour ou dans les autres domaines de notre existence. La seule manière de satisfaire ce désir qui se creuse en nous est d’aller au-delà du conventionnel : dépasser le conjugal pour accéder au nuptial, passer de la morale à l’éthique, passer du mimétisme à la création. Oui, F et G, il faut créer votre propre référentiel, votre propre façon d’exprimer et de manifester votre amour. Il faut créer et innover dans votre façon d’être un couple et de vivre vos moments d’extases. Ce n’est pas dans l’amour original qui tire sa source de l’Amour créateur que vous vous pouvez trouver ce que vous désirez. Cet amour, est celui qui a déplacé Jésus des bornes du ciel pour venir à la rencontre de l’humanité pécheresse. C’est l’amour qui pardonne, qui se donne sans compter et se fonde dans la confiance. Il se construit et se réalise dans l’épreuve, la souffrance, la reconnaissance de la différence qu’il transcende et dompte. Attachez-vous donc à cet amour inconditionnel, ne vous lâchez pas jusqu’à la gare. Amen !

Par GUIDEME Gabriel, Pasteur proposant