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Lacroix du Christ: Folie et honte?

THÈME : LA CROIX DU CHRIST : HONTE, FOLIE ET SALUT ?

CONFÉRENCE-DÉBAT DU MERCREDI 1er AVRIL 2015 A LA PAROISSE DE BAFOUSSAM-PLATEAU

THÈME : LA CROIX DU CHRIST : HONTE, FOLIE ET SALUT ?

1 Corinthiens 2:14 L’homme qui n’a que ses facultés naturelles n’est pas en mesure de percevoir ce qui vient de l’Esprit de Dieu : il n’accepte pas ses dons et n’admet pas les vérités spirituelles ; elles sont, à ses yeux, « pure folie » et il est incapable de les comprendre. Pourquoi ? Parce que seul l’Esprit de Dieu permet de les discerner ; et c’est à la lumière de cet Esprit qu’elles demandent à être jugées.

1 Corinthiens 3:18 Que personne ne se fasse donc d’illusions sur ce point. Si quelqu’un parmi vous vise à être sage aux yeux de ses contemporains — ou s’il s’imagine l’être selon les normes de ce monde je lui conseille de commencer par reconnaître sa folie et son ignorance, afin d’accéder à la véritable sagesse. ( Bible PVV : Parole vivante)

Ces deux versets illustrent à souhait la complexité du thème de la croix du Christ comme honte et folie. Notre exposé ne sera pas une démonstration rationnelle ou philosophique même si nous ferons appel à ces sciences pour étayer nos propos. La croix du Christ est-ce une honte ou une folie ? Voilà ce que nous sommes appelés à comprendre et expliquer. En quoi elle peut être une folie ou une honte ? Comment peut-on comprendre cela de nos jours ? Autrement dit, comment la croix du Christ devient pour nous aujourd’hui une honte ou une folie ?

Le philosophe allemand Nietzsche (1844-1900) a déclaré dans son livre » le gai savoir que « Dieu est mort ». Ce propos courageux, subversif à la limite blasphématoire a fait l’objet de plusieurs interprétations et est au début du déclin du christianisme dans l’Occident qualifié jadis de chrétien. Les uns ont vu dans cette déclaration un cri d’alerte aux dérives constatées dans l’Église de cette époque. La corruption, le luxe, la quête de pouvoir et les débauches de tout genre caractérisaient la vie des chrétiens de l’époque. « Dieu est mort », est donc une interpellation à ces religieux qui manifestent par leur vie la mort de Dieu. Si Dieu est vivant, pourquoi ses serviteurs peuvent-ils se comporter à l’opposé de ce qu’il recommande ? En examinant attentivement la morale nietzschéenne, on remarque qu’il soutient la morale du fort. Pour lui, la vertu, certaines abstinences ne traduisent pas une conduite juste. Le faible ou le pauvre ne pouvant jouir de la vie comme le fort ou le riche, il se contente d’agir moralement de manière honorable pour manifester sa force. À partir de cette morale du faible, on comprend que la mort de Dieu décrétée par Nietzsche traduit simplement le discours d’amour, de paix, d’humilité, de pardon que prône l’Évangile et qui semblent s’opposer au Dieu puissant, guerrier, vengeur de l’Ancien Testament. Ainsi, le Dieu Tout-Puissant est mort avec Jésus sur la croix. Ces élucubrations philosophico-savantes traduisent le scandale du message de la croix. Christ, le Fils de Dieu, Dieu incarné est mort sur la croix ! Quelle honte ! Quelle folie !  Et de surcroît, cette mort honteuse et horrible est considérée comme le moyen par lequel Dieu sauve l’humanité. C’est très stupide, inconcevable et incompréhensible !

         Le concept de la croix du Christ honte et folie est évoquée par l’apôtre  Paul. Dans son ministère, il a connu de vives oppositions des juifs et des Grecs qui n’acceptaient pas l’Évangile dont le message principal est : «  Christ crucifié et ressuscité ».  Voyons comment l’apôtre Paul a compris, mieux que les auteurs des évangiles, le mystère de la Croix et comment son message est perçu en son temps.         Rien ne disposait Paul à devenir l’apôtre des nations et le messager de l’Évangile de Jésus-Christ crucifié et ressuscité. C’est dans sa rencontre avec celui qu’il persécutait qu’il lui a été donné de comprendre que Jésus qu’il croyait, « maudit de Dieu » était, en réalité, son Fils, un Fils parfaitement « obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix… élevée au rang de Seigneur de l’univers (Ph 2,9-11). Sur le chemin de Damas, Dieu a, en effet, « ôté le voile » qui empêchait Paul de voir sa gloire sur le visage du Christ Jésus crucifié. Beaucoup font encore de nos jours preuve de cécité et ne peuvent contempler la gloire de Dieu en Christ crucifié. Notre intelligence, notre sagesse et notre héritage culturel sont souvent ces voiles qui nous cachent les merveilles de la croix du Christ.

Dans le « dévoilement » du Fils (Ga 1,13-17), il a perçu le sens de la croix et la gratuité radicale de l’initiative de Dieu à son égard. En conséquence, s’il est dominé par l’annonce de l’évangile qu’il a reçu (1 Co 15,3-5), le ministère de Paul sera surtout déterminé par la révélation de la nature déconcertante de la puissance de Dieu qui se donne à voir dans la faiblesse de Jésus-Christ crucifié. Pour bien saisir les enjeux de la « théologie de la croix » que Paul va élaborer (avec ses trois aspects théologiques, ecclésiologique et apostolique), il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la communauté de Corinthe était confrontée à de multiples problèmes, mais ce qui par-dessus tout semblait inquiéter l’apôtre, c’était l’existence de tensions identitaires au sein de la communauté (1 Co 1, 11). Chaque groupe en présence se référait, semble-t-il, à une figure fondatrice qui donnait une orientation particulière à l’expression de sa foi : Paul, Apollos ou Céphas (1 Co 1,12). Nous ne sommes pas différents de cette communauté corinthienne dans cette paroisse. Chacun s’identifie au groupe, à la tendance ou au leader auquel il fait allégeance. Or, devant ces divisions (1 Co 1,10-17), conséquence d’une trop grande importance accordée à la parole (cf. 1 Co 2,1-5), à la connaissance (1 Co 8,1-3.11) ou à certaines manifestations de l’Esprit (1 Co 12-14). le risque, c’est que l’Évangile serait reçu comme un enseignement de sagesse paré du prestige de l’éloquence et de la rhétorique, de puissance écrasante, de prospérité. Les divisions interdénominationnelles ou la multiplication des dénominations s’expliquent aujourd’hui par ce désir de puissance, d’éloquence, d’autorité.

Que propose donc Paul à ces divisions ? L’apôtre Paul plante la croix du Christ au milieu de la communauté déchirée de Corinthe : « Le Christ est-il divisé ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été crucifiés ? » (1 Co 1,13)

A ceux qui sont divisés, Paul oppose ainsi un événement scandaleux qui n’offre, à cette époque, aucune possibilité de référence identitaire, puisque la crucifixion était le « supplice le plus cruel et le plus infamant[1] » qui soit, celui que l’on réservait aux criminels et aux esclaves. Après avoir rappelé que l’unité de la communauté chrétienne n’a pas d’autres origine et fondement que la croix du Christ, l’apôtre consacre ensuite un long développement à la « parole de la croix » qui proclame sur Dieu le contraire de ce que les hommes conçoivent et comprennent habituellement de lui : « Le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, il est puissance de Dieu (…) Les Juifs demandent des miracles et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant juifs que grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus forts que les hommes» (1 Co 1,18.22-25). Par analogie je constate que les peuples des pays pauvres (Afrique, Asie, Amérique du Sud) où les églises de réveil font florès, les hommes sont enclins à croire au Dieu-Tout puissant, vengeur de leur cause, thaumaturge, guérisseur de leur maladie, seul capable de les rendre prospèrent. Ce n’est pas faut ! Mais cette conception de Dieu, qui ne prend pas en compte la faiblesse, la détresse, l’échec de la croix, n’est pas chrétienne et ne participe pas fondamentalement à notre salut. D’autre part, les peuples des pays riches ou industrialisés où l’essor de la science et de la technologie est grand, c’est la scientificité, la rationalité du message qui les intéressent. On en vient à démythologiser ou démythifier les miracles de la Bible, à trouver des explications rationnelles aux actes divins. Du coup, la mort de Jésus sur la croix pour sauver l’humanité doit être réexpliquée.

Bien qu’inséparable de « la proclamation de la résurrection de celui qui est devenu, par elle, le Crucifié », la « parole de la croix »,  est, pour l’apôtre Paul, un « scandale » pour les Juifs et une « folie » pour les Grecs. Elle est un « scandale », une pierre d’achoppement, parce que l’aspect sous lequel le Messie se présente est en totale contradiction avec l’attente des Juifs et les représentations qu’ils se faisaient du Messie. Pour les Juifs du 1er  siècle, le crucifié n’était pas seulement l’objet de la cruauté humaine et de l’infamie publique, mais celui aussi de la « malédiction de Dieu ». Ce jugement s’appuyait sur le texte de Dt 21,23 : « Maudis quiconque est pendu au bois ». Avec Jésus, le scandale est redoublé dans la mesure où celui qui est pendu à la croix – déjà maudit par le seul fait de la pendaison – ose se prétendre Fils de Dieu. La croix semble même être la preuve par excellence que celui qui y est pendu ne peut être le Messie. La croix est une « folie » pour les Grecs au sens où ne peut prétendre être dieu, même au sens mythologique, quelqu’un qui subit une telle mort, infrahumaine, réservée aux esclaves.

L’événement de la croix heurte ainsi de plein fouet les deux cultures, grecque et juive. C’est un défi pour la raison puisque la croix proclame la puissance de Dieu là où la sagesse des hommes ne perçoit que l’impuissance et l’échec. C’est un non-sens apparent, une aberration, qui rejoint l’humanité - représentée ici par les Grecs à la recherche de la sagesse et les Juifs qui attendent de Dieu des signes de puissance -, dans sa quête de vérité en faisant éclater les limites de la sagesse et de la piété, surtout lorsqu’à travers elles les hommes prétendent identifier Dieu, et par là se sauver eux-mêmes ou se poser comme leur propre fondement. Pour ZUMSTEIN, « la parole de la croix est en premier lieu la mise à nu sans complaisance des errements et de la volonté de puissance de l’homme »[2]. La croix « scandalise tout ce qui mesure (et c’est la folie même) les choses divines à la mesure du visible et de l’humain »

À la lumière de la croix, Paul interprètera les échecs et les épreuves qu’il rencontre. Ils sont un des lieux privilégiés de la configuration de l’apôtre au Christ et de la participation à son œuvre salvifique : « Sans cesse nous portons dans notre corps l’agonie de Jésus » (2 Co 4,10). Et l’auteur de la lettre aux Colossiens écrira : « Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète ce qui manque aux tribulations du Christ en ma chair pour son corps qui est l’Église » (Col 1,24)[3]. Il n’en est pas moins vrai que s’ils sont l’occasion, pour l’apôtre, de communier aux souffrances du Christ sur la croix, les épreuves, les faiblesses et les échecs sont surtout le lieu où l’apôtre peut expérimenter la présence du Ressuscité et la puissance de l’Amour de Dieu qui  console et rend fort (2 Co 1,3-5). Qui saura mieux parler de la nécessité d’un consolateur quje celui qui a connu l’affliction, l’échec ? Qui peut mieux parler du guérisseur que celui qui fut malade et guérit ? D’autant plus que « nos détresses d’un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu’elles nous préparent. » Notre objectif n’est pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel » (2 Co 4,17 ; Rm 8,18).

Pour Paul, tel est le grand mystère de l’Annonce de l’Évangile : c’est dans la faiblesse et la pauvreté des situations que la puissance de Dieu peut donner toute sa mesure (1 Co 1,26ss ; 2 Co 4,7-10). C’est aussi le mystère de toute vie baptismale et de tout apostolat où, au plus profond de sa misère, de sa faiblesse, de ses échecs et de ses souffrances, s’impose la nécessité d’accueillir l’œuvre de la toute-puissance divine : « À ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : ‘Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse afin que repose sur moi la puissance du Christ. Donc, je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les angoisses pour le Christ. Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12,8-10).

         En conclusion, la croix du Christ représente non seulement le mystère de l’amour de Dieu pour nous qui s’est manifesté par son abaissement et la mort de son Fils Jésus-Christ à la croix, mais aussi les souffrances, les afflictions et les échecs qui émaillent notre vie et notre engagement à la suite de Christ. La croix du Christ est une folie, c’est-à-dire un déshonneur ou une folie, c’est-à-dire une chose étrange, une aliénation pour ceux qui conçoivent Dieu selon les catégories de la raison humaine et développe le plan du salut selon leur culture ou leur tradition. La croix du Christ est une honte ou une folie pour ceux pour qui la toute-puissance de Dieu exclut souffrance, peine, détresse, échecs et se résume en miracle, exploit, gloire, prospérité, richesse, vengeance, invincibilité. La croix du Christ est le moyen par lequel Dieu sauve l’humanité de ses péchés et puissance de Dieu pour ceux qui croient en lui. Vous voyez que beaucoup décrètent la mort de Dieu comme Nietzsche en refusant de souffrir, d’être rejetés, de connaître des échecs et sont à la recherche des miracles ! Notre relation avec Christ, notre ministère dans l’Église et notre vie en tant que chrétien dans le monde implique le port de la croix comme symbole d’humiliation, de rejet, d’incompréhension du monde pervers et corrompu et aussi signe de salut, puissance, de victoire sur le mal, le péché, la mort et les forces du mal. On ne doit pas dissocier les deux dimensions de la croix.

 

 

CONFÉRENCE-DÉBAT DU MERCREDI 1er AVRIL 2015 A LA PAROISSE DE BAFOUSSAM-PLATEAU

THÈME : LA CROIX DU CHRIST : HONTE, FOLIE ET SALUT ?

1 Corinthiens 2:14 L’homme qui n’a que ses facultés naturelles n’est pas en mesure de percevoir ce qui vient de l’Esprit de Dieu : il n’accepte pas ses dons et n’admet pas les vérités spirituelles ; elles sont, à ses yeux, « pure folie » et il est incapable de les comprendre. Pourquoi ? Parce que seul l’Esprit de Dieu permet de les discerner ; et c’est à la lumière de cet Esprit qu’elles demandent à être jugées.

1 Corinthiens 3:18 Que personne ne se fasse donc d’illusions sur ce point. Si quelqu’un parmi vous vise à être sage aux yeux de ses contemporains — ou s’il s’imagine l’être selon les normes de ce monde je lui conseille de commencer par reconnaître sa folie et son ignorance, afin d’accéder à la véritable sagesse. ( Bible PVV : Parole vivante)

Ces deux versets illustrent à souhait la complexité du thème de la croix du Christ comme honte et folie. Notre exposé ne sera pas une démonstration rationnelle ou philosophique même si nous ferons appel à ces sciences pour étayer nos propos. La croix du Christ est-ce une honte ou une folie ? Voilà ce que nous sommes appelés à comprendre et expliquer. En quoi elle peut être une folie ou une honte ? Comment peut-on comprendre cela de nos jours ? Autrement dit, comment la croix du Christ devient pour nous aujourd’hui une honte ou une folie ?

Le philosophe allemand Nietzsche (1844-1900) a déclaré dans son livre » le gai savoir que « Dieu est mort ». Ce propos courageux, subversif à la limite blasphématoire a fait l’objet de plusieurs interprétations et est au début du déclin du christianisme dans l’Occident qualifié jadis de chrétien. Les uns ont vu dans cette déclaration un cri d’alerte aux dérives constatées dans l’Église de cette époque. La corruption, le luxe, la quête de pouvoir et les débauches de tout genre caractérisaient la vie des chrétiens de l’époque. « Dieu est mort », est donc une interpellation à ces religieux qui manifestent par leur vie la mort de Dieu. Si Dieu est vivant, pourquoi ses serviteurs peuvent-ils se comporter à l’opposé de ce qu’il recommande ? En examinant attentivement la morale nietzschéenne, on remarque qu’il soutient la morale du fort. Pour lui, la vertu, certaines abstinences ne traduisent pas une conduite juste. Le faible ou le pauvre ne pouvant jouir de la vie comme le fort ou le riche, il se contente d’agir moralement de manière honorable pour manifester sa force. À partir de cette morale du faible, on comprend que la mort de Dieu décrétée par Nietzsche traduit simplement le discours d’amour, de paix, d’humilité, de pardon que prône l’Évangile et qui semblent s’opposer au Dieu puissant, guerrier, vengeur de l’Ancien Testament. Ainsi, le Dieu Tout-Puissant est mort avec Jésus sur la croix. Ces élucubrations philosophico-savantes traduisent le scandale du message de la croix. Christ, le Fils de Dieu, Dieu incarné est mort sur la croix ! Quelle honte ! Quelle folie !  Et de surcroît, cette mort honteuse et horrible est considérée comme le moyen par lequel Dieu sauve l’humanité. C’est très stupide, inconcevable et incompréhensible !

         Le concept de la croix du Christ honte et folie est évoquée par l’apôtre  Paul. Dans son ministère, il a connu de vives oppositions des juifs et des Grecs qui n’acceptaient pas l’Évangile dont le message principal est : «  Christ crucifié et ressuscité ».  Voyons comment l’apôtre Paul a compris, mieux que les auteurs des évangiles, le mystère de la Croix et comment son message est perçu en son temps.         Rien ne disposait Paul à devenir l’apôtre des nations et le messager de l’Évangile de Jésus-Christ crucifié et ressuscité. C’est dans sa rencontre avec celui qu’il persécutait qu’il lui a été donné de comprendre que Jésus qu’il croyait, « maudit de Dieu » était, en réalité, son Fils, un Fils parfaitement « obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix… élevée au rang de Seigneur de l’univers (Ph 2,9-11). Sur le chemin de Damas, Dieu a, en effet, « ôté le voile » qui empêchait Paul de voir sa gloire sur le visage du Christ Jésus crucifié. Beaucoup font encore de nos jours preuve de cécité et ne peuvent contempler la gloire de Dieu en Christ crucifié. Notre intelligence, notre sagesse et notre héritage culturel sont souvent ces voiles qui nous cachent les merveilles de la croix du Christ.

Dans le « dévoilement » du Fils (Ga 1,13-17), il a perçu le sens de la croix et la gratuité radicale de l’initiative de Dieu à son égard. En conséquence, s’il est dominé par l’annonce de l’évangile qu’il a reçu (1 Co 15,3-5), le ministère de Paul sera surtout déterminé par la révélation de la nature déconcertante de la puissance de Dieu qui se donne à voir dans la faiblesse de Jésus-Christ crucifié. Pour bien saisir les enjeux de la « théologie de la croix » que Paul va élaborer (avec ses trois aspects théologiques, ecclésiologique et apostolique), il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la communauté de Corinthe était confrontée à de multiples problèmes, mais ce qui par-dessus tout semblait inquiéter l’apôtre, c’était l’existence de tensions identitaires au sein de la communauté (1 Co 1, 11). Chaque groupe en présence se référait, semble-t-il, à une figure fondatrice qui donnait une orientation particulière à l’expression de sa foi : Paul, Apollos ou Céphas (1 Co 1,12). Nous ne sommes pas différents de cette communauté corinthienne dans cette paroisse. Chacun s’identifie au groupe, à la tendance ou au leader auquel il fait allégeance. Or, devant ces divisions (1 Co 1,10-17), conséquence d’une trop grande importance accordée à la parole (cf. 1 Co 2,1-5), à la connaissance (1 Co 8,1-3.11) ou à certaines manifestations de l’Esprit (1 Co 12-14). le risque, c’est que l’Évangile serait reçu comme un enseignement de sagesse paré du prestige de l’éloquence et de la rhétorique, de puissance écrasante, de prospérité. Les divisions interdénominationnelles ou la multiplication des dénominations s’expliquent aujourd’hui par ce désir de puissance, d’éloquence, d’autorité.

Que propose donc Paul à ces divisions ? L’apôtre Paul plante la croix du Christ au milieu de la communauté déchirée de Corinthe : « Le Christ est-il divisé ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été crucifiés ? » (1 Co 1,13)

A ceux qui sont divisés, Paul oppose ainsi un événement scandaleux qui n’offre, à cette époque, aucune possibilité de référence identitaire, puisque la crucifixion était le « supplice le plus cruel et le plus infamant[1] » qui soit, celui que l’on réservait aux criminels et aux esclaves. Après avoir rappelé que l’unité de la communauté chrétienne n’a pas d’autres origine et fondement que la croix du Christ, l’apôtre consacre ensuite un long développement à la « parole de la croix » qui proclame sur Dieu le contraire de ce que les hommes conçoivent et comprennent habituellement de lui : « Le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, il est puissance de Dieu (…) Les Juifs demandent des miracles et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant juifs que grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus forts que les hommes» (1 Co 1,18.22-25). Par analogie je constate que les peuples des pays pauvres (Afrique, Asie, Amérique du Sud) où les églises de réveil font florès, les hommes sont enclins à croire au Dieu-Tout puissant, vengeur de leur cause, thaumaturge, guérisseur de leur maladie, seul capable de les rendre prospèrent. Ce n’est pas faut ! Mais cette conception de Dieu, qui ne prend pas en compte la faiblesse, la détresse, l’échec de la croix, n’est pas chrétienne et ne participe pas fondamentalement à notre salut. D’autre part, les peuples des pays riches ou industrialisés où l’essor de la science et de la technologie est grand, c’est la scientificité, la rationalité du message qui les intéressent. On en vient à démythologiser ou démythifier les miracles de la Bible, à trouver des explications rationnelles aux actes divins. Du coup, la mort de Jésus sur la croix pour sauver l’humanité doit être réexpliquée.

Bien qu’inséparable de « la proclamation de la résurrection de celui qui est devenu, par elle, le Crucifié », la « parole de la croix »,  est, pour l’apôtre Paul, un « scandale » pour les Juifs et une « folie » pour les Grecs. Elle est un « scandale », une pierre d’achoppement, parce que l’aspect sous lequel le Messie se présente est en totale contradiction avec l’attente des Juifs et les représentations qu’ils se faisaient du Messie. Pour les Juifs du 1er  siècle, le crucifié n’était pas seulement l’objet de la cruauté humaine et de l’infamie publique, mais celui aussi de la « malédiction de Dieu ». Ce jugement s’appuyait sur le texte de Dt 21,23 : « Maudis quiconque est pendu au bois ». Avec Jésus, le scandale est redoublé dans la mesure où celui qui est pendu à la croix – déjà maudit par le seul fait de la pendaison – ose se prétendre Fils de Dieu. La croix semble même être la preuve par excellence que celui qui y est pendu ne peut être le Messie. La croix est une « folie » pour les Grecs au sens où ne peut prétendre être dieu, même au sens mythologique, quelqu’un qui subit une telle mort, infrahumaine, réservée aux esclaves.

L’événement de la croix heurte ainsi de plein fouet les deux cultures, grecque et juive. C’est un défi pour la raison puisque la croix proclame la puissance de Dieu là où la sagesse des hommes ne perçoit que l’impuissance et l’échec. C’est un non-sens apparent, une aberration, qui rejoint l’humanité - représentée ici par les Grecs à la recherche de la sagesse et les Juifs qui attendent de Dieu des signes de puissance -, dans sa quête de vérité en faisant éclater les limites de la sagesse et de la piété, surtout lorsqu’à travers elles les hommes prétendent identifier Dieu, et par là se sauver eux-mêmes ou se poser comme leur propre fondement. Pour ZUMSTEIN, « la parole de la croix est en premier lieu la mise à nu sans complaisance des errements et de la volonté de puissance de l’homme »[2]. La croix « scandalise tout ce qui mesure (et c’est la folie même) les choses divines à la mesure du visible et de l’humain »

À la lumière de la croix, Paul interprètera les échecs et les épreuves qu’il rencontre. Ils sont un des lieux privilégiés de la configuration de l’apôtre au Christ et de la participation à son œuvre salvifique : « Sans cesse nous portons dans notre corps l’agonie de Jésus » (2 Co 4,10). Et l’auteur de la lettre aux Colossiens écrira : « Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète ce qui manque aux tribulations du Christ en ma chair pour son corps qui est l’Église » (Col 1,24)[3]. Il n’en est pas moins vrai que s’ils sont l’occasion, pour l’apôtre, de communier aux souffrances du Christ sur la croix, les épreuves, les faiblesses et les échecs sont surtout le lieu où l’apôtre peut expérimenter la présence du Ressuscité et la puissance de l’Amour de Dieu qui  console et rend fort (2 Co 1,3-5). Qui saura mieux parler de la nécessité d’un consolateur quje celui qui a connu l’affliction, l’échec ? Qui peut mieux parler du guérisseur que celui qui fut malade et guérit ? D’autant plus que « nos détresses d’un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu’elles nous préparent. » Notre objectif n’est pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel » (2 Co 4,17 ; Rm 8,18).

Pour Paul, tel est le grand mystère de l’Annonce de l’Évangile : c’est dans la faiblesse et la pauvreté des situations que la puissance de Dieu peut donner toute sa mesure (1 Co 1,26ss ; 2 Co 4,7-10). C’est aussi le mystère de toute vie baptismale et de tout apostolat où, au plus profond de sa misère, de sa faiblesse, de ses échecs et de ses souffrances, s’impose la nécessité d’accueillir l’œuvre de la toute-puissance divine : « À ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : ‘Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse afin que repose sur moi la puissance du Christ. Donc, je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les angoisses pour le Christ. Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12,8-10).

         En conclusion, la croix du Christ représente non seulement le mystère de l’amour de Dieu pour nous qui s’est manifesté par son abaissement et la mort de son Fils Jésus-Christ à la croix, mais aussi les souffrances, les afflictions et les échecs qui émaillent notre vie et notre engagement à la suite de Christ. La croix du Christ est une folie, c’est-à-dire un déshonneur ou une folie, c’est-à-dire une chose étrange, une aliénation pour ceux qui conçoivent Dieu selon les catégories de la raison humaine et développe le plan du salut selon leur culture ou leur tradition. La croix du Christ est une honte ou une folie pour ceux pour qui la toute-puissance de Dieu exclut souffrance, peine, détresse, échecs et se résume en miracle, exploit, gloire, prospérité, richesse, vengeance, invincibilité. La croix du Christ est le moyen par lequel Dieu sauve l’humanité de ses péchés et puissance de Dieu pour ceux qui croient en lui. Vous voyez que beaucoup décrètent la mort de Dieu comme Nietzsche en refusant de souffrir, d’être rejetés, de connaître des échecs et sont à la recherche des miracles ! Notre relation avec Christ, notre ministère dans l’Église et notre vie en tant que chrétien dans le monde implique le port de la croix comme symbole d’humiliation, de rejet, d’incompréhension du monde pervers et corrompu et aussi signe de salut, puissance, de victoire sur le mal, le péché, la mort et les forces du mal. On ne doit pas dissocier les deux dimensions de la croix.

 

 

 

 



[1] Cicéron, Seconde action contre Verrès V 163.

[2] J.ZUMSTEIN, « Paul et la théologie de la croix », ETR, 72,2001, p.489.

[3] Paul n’entend pas dire ici qu’il ajoute quelque chose à l’œuvre médiatrice et salvifique du Christ, puisque toute la lettre aux Colossiens rappelle qu’il n’y a qu’un seul médiateur et que le Christ a accompli tout ce qu’il avait à accomplir (1,19-20.22 ; 2,9-10.13-14 ; 3,1). A travers l’expression « tribulations du Christ en ma chair » -. Paul évoque ce qui manque dans sa manière de vivre et de souffrir par/pour l’annonce de l’Évangile et pour l’Église.

 

 



[1] Cicéron, Seconde action contre Verrès V 163.

[2] J.ZUMSTEIN, « Paul et la théologie de la croix », ETR, 72,2001, p.489.

[3] Paul n’entend pas dire ici qu’il ajoute quelque chose à l’œuvre médiatrice et salvifique du Christ, puisque toute la lettre aux Colossiens rappelle qu’il n’y a qu’un seul médiateur et que le Christ a accompli tout ce qu’il avait à accomplir (1,19-20.22 ; 2,9-10.13-14 ; 3,1). A travers l’expression « tribulations du Christ en ma chair » -. Paul évoque ce qui manque dans sa manière de vivre et de souffrir par/pour l’annonce de l’Évangile et pour l’Église.

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